Ils sont comédiens, conteurs, auteurs, metteurs en scène, techniciens, vidéastes, sortis du conservatoire des Arts et Métiers Multimédia Balla Fasséké Kouyaté de Bamako. En 2015 ils ont décidé de créer l’association Anw Jigi ART dont le siège est à Dialakorodji (Bamako). Leur objectif commun est de redonner de la vigueur au spectacle vivant (Théâtre, danse, conte, performance) au Mali. Grace à sa démarche novatrice fruit de la diversité intellectuelle de ses membres, Anw Jigi ART s’affirme au Mali et dans la sous-région dans la création et la diffusion de spectacles de qualité, particulièrement dans le domaine du théâtre. Dans cet entretien avec MediaCulture.info, la comédienne Honorine Diama, directrice adjointe de Anw Jigi ART, parle du fonctionnement de leur structure, des raisons du choix des arts de la scène comme domaine d’activités; du nouveau concept de spectacle, ou “théâtre de maison » inauguré par Anw Jigi ART; des perspectives pour cette association qui s’illustre également par sa gouvernance.
MediaCulture.info : Que signifie Anw Jigi ART et pourquoi le choix du domaine des arts de la scène pour vos activités?
Honorine Diama : Anw Jigi en Bambara (langue la plus parlée au Mali) signifie: Notre espoir. Et ART : c’est le sigle pour Association pour la Recherche Théâtrale. En gros c’est notre espoir pour la recherche théâtrale. Le choix du domaine d’activités vient du fait que tous les membres de l’association sont diplômés du conservatoire des arts Balla Fasséké Kouyaté de Bamako. En théâtre option mise en scène pour la majorité et en musique et multimédia pour les autres. Nous nous sommes rencontrés au conservatoire, les affinités artistiques se sont créées. Et, en 2015, nous avons décidé de créer notre association pour continuer à travailler ensemble.
MediaCulture.info : Comment fonctionne Anw Jigi ART, qu’en est-t-il du mode d’adhésion et d’où viennent les moyens qui vous permettent de mettre en œuvre vos diverses activités?
Honorine Diama : L’association a été créée avec une dizaine de membres attitrés. Mais nous travaillons souvent avec des artistes non membres, le temps d’un projet. Souvent certains émettent le désir d’adhérer à l’association. Les conditions d’adhésion sont les mêmes pour tous. Il y a mille francs CFA de frais à payer. Mais avant toute adhésion, on demande au candidat de participer à au moins deux réunions mensuelles et venir suivre quelques répétitions ou représentations pour vraiment savoir nos conditions de travail et prendre sa décision en conséquence. Nous répondons comme toutes les structures artistiques aux différents appels à candidature lancés par les structures de financement de projets artistiques. Souvent on est retenu, des fois pas. C’est comme ça que nous menons la plupart de nos activités.
MediaCulture.info : Les membres travaillent de manière bénévole ou bien ils sont rémunérés?
Honorine Diama : Au début, les membres faisaient beaucoup de bénévolat. C’est toujours le cas actuellement avec les activités que nous menons dans certains orphelinats, hôpitaux, jardins d’enfants. Mais côté rémunération, les membres ne sont pas salariés. Ils sont payés en cachet pour leur prestation ou participation aux différents projets que nous menons. L’association existe depuis seulement 5 ans. Mais travaillons de façon à pouvoir payer un salaire et une couverture sociale aux membres d’ici les prochaines années.
MediaCulture.info : Vous avez initié dans vos activités le concept de théâtre de maison, en quoi consiste cette forme de représentation inaugurée par Anw Jigi ART?
Honorine Diama : Théâtre de maison est un projet que nous avons initié en Janvier 2016. C’est parti du constat que les salles de spectacles n’étaient pas fréquentées par notre public cible, à savoir : les hommes, les femmes, les jeunes. Seuls les artistes vont voir les spectacles, les uns des autres. Mais aussi une certaine élite sociale capable de payer un ticket d’entrée allant de 2000 CFA à 5000 CFA selon les salles. Ce qui est difficile, quand on sait combien les gens peinent à avoir de quoi manger dignement tous les jours. Alors le théâtre ou les arts scéniques en général passent en second plan.
Pourtant le théâtre a cette mission de sensibilisation, de cohésion et de thérapie pour la société. Alors pour atteindre notre public, nous avons décidé d’amener le théâtre chez les gens ; dans les cours familiales.
Nous sommes à la 3ème édition de théâtre de maison. Nous avons joué au total dans une trentaine de familles pendant les deux éditions passées. À la fin de chaque représentation, la parole est donnée au public pour débattre du contenu de la pièce. Et ce sont des moments où la parole se libère. Où hommes ou femmes, chacun peut partager son expérience, émettre des critiques pour améliorer le travail d’Anw Jigi ART.
Le public réagit beaucoup aux thèmes que nous traitons, car nous pensons réellement que c’est notre mission de parler des sujets sensibles et complexes qui sont souvent les causes du mal-être de notre société.
Cette année 2020, à cause de la Covid19, nous avons dû enregistrer les pièces en studio. Mais le principe n’a pas changé. Nous allons dans une cour familiale, nous invitons le voisinage à venir suivre la pièce qui est diffusée en direct à la radio depuis cette cour familiale. Après la diffusion, le débat est ouvert. L’antenne aussi est ouverte pour les auditeurs qui veulent réagir en direct.
MediaCulture.info : Avez-vous d’autres projets en vue ?
Honorine Diama : Nous avons un festival Fitiniw ART, qui a été reporté pour cause de pandémie. C’est un concours inter-écoles de création théâtrale entre les écoles du quartier de Dialakorodji. Un quartier populaire aux limites de la ville de Bamako. Nous avons également trois créations de pièces d’auteur que nous commencerons dès que la situation sanitaire le permettra. Nous venons de commencer notre dernier projet ”Sotrama Théâtre” qui est un projet de théâtre invisible dans les Sotramas, les petits minibus verts qui sont le principal transport en commun de Bamako. Le principe est simple: deux comédiens d’Anw Jigi ART, montent dans une Sotrama et commencent à jouer une scène répétée à l’avance. Le but, faire intervenir les autres passagers dans la pièce sans qu’ils ne le sachent. C’est à la fin qu’ils sauront que c’était une pièce théâtre et qu’ils viennent de jouer dedans sans le savoir. Le but, avoir des réactions naturelles et authentiques sur différents faits de société. Car pour nous il est très important dans le travail que nous faisons, d’interagir avec notre communauté.
MediaCulture.info : Envisagez-vous d’étendre vos activités au delà du Mali?
Honorine Diama : Oui nous espérons étendre nos activités au delà du Mali. Raison pour laquelle nous invitons régulièrement des artistes de pays proches pour animer des ateliers à nos membres qui ont des profils variés (comédiens, metteurs en scène, auteurs, techniciens). En plus de bénéficier de leur grande expérience dans différents domaines, c’est un moyen pour nous de tisser des relations de fraternité entre artistes du continent.
Mousoul MediaCulture.info