Analyse-Critique
Le film Sarraounia (1986) est une adaptation de l’ouvrage Sarraounia : Le drame de la reine magicienne (1980) de l’écrivain nigérien Mamani Abdoulaye, qui lui-même est inspiré de faits réels sur la pénétration coloniale au Niger.
Dans son récit filmique, le réalisateur Mauritanien Med Hondo fait voir d’une part le caractère macabre de l’expédition française de la Mission Afrique Centrale-Tchad, appelée mission Voulet-Chanoine. Cette conquête s’inscrivant d’une mission dite civilisatrice de la France en Afrique a été particulièrement marquée par la condescendance du colon et surtout de massacres ( des villages pillés, incendiés , des villageois pendus, tués, des hommes et des femmes séquestrés…).
Le film illustre aussi la résistance des populations en l’occurrence celle du village de Lougou, dans le Niger actuel, dont la vie faite de quiétude sociale, de pratiques de leur tradition (animisme, fierté locale, esprit de clan, danse , musique, lutte, etc.) fut bouleversée. A l’époque régnait à Lougou la reine Sarraounia, incarnée dans le film par Aï Keïta. Cette reine combattu la mission Voulet-Chanoine qu’on peut qualifier de barbare.
Sarraounia est un film à multiples discours. Plusieurs points de vue nourrissent le film avec des scènes révoltantes et admiratives selon la position du spectateur. Ce long métrage de fiction, certes dramatique sinon tragique avec des personnages dont le jeu de rôle est maîtrisé, discipliné pourrait-on dire comme dans les légions militaires. Justement, Sarraounia est un film de guerre qui a permis à l’armée française de recruter des africains qu’elle appelait tirailleurs pour abattre leurs propres frères en leurs miroitant de lendemains meilleurs et des « moussos », des filles comme objets de plaisir, dont d’ailleurs les colons ne s’en privaient pas.
Med Homdo à l’entame de la première séquence plante le décor avec une colonne bien disciplinée constituée à sa tête par des cavaliers blancs vêtus d’uniforme blanc, suivi par d’autres cavaliers noirs en uniforme aux couleurs du drapeau français, dont certains tiraient les chevaux qui portaient les armes et munitions. On voit également dans la troupe des noirs armés à pied, des bras valides aux torses nus et des femmes transportant de diverses provisions. Le tout, rythmé par un chant de louange à la patrie France : « Ô Pays Franci, Ô Pays Franci, Nous, Contents ! Contents ! Contents beaucoup. »
Le réalisateur a su jouer de l’humour dans certaines scènes pour atténuer les scènes macabres. Le français parlé des tirailleurs qui écorchent la langue française et les filles qui parlent de leurs relations intimes avec leurs amants colons. Le choix des costumes et des décors pour l’angle de traitement du film, avec des espaces vastes des terres en conquête, le crépitement des armes de guerre, les bruits des sabots et les hennissements des chevaux, les chameaux, les cris des tirailleurs en uniforme, des colons et des villageois avec les moyens archaïques de lutte dans plusieurs variations de plans nous plongent dans les scènes de guerre. Dans les confrontations (actions) les parties cherchent vaille que vaille à s’imposer, à vaincre, à détruire…
Le film est un véritable appel à la conscientisation des peuples opprimés, qui avec détermination, pourraient faire face à toute sorte d’adversité. La révolte des tirailleurs qui a conduit à l’echec de cette mission où les officiers de l’armée d’occupation s’étaient entretués montre bien que l’autodétermination passe par un éveil de conscience pour mettre à mal l’impérialisme sous toutes ses formes même avec la collaboration des valets locaux. Sarraounia dont les thématiques sont actuelles (quête de la souveraineté territoriale et économique) et transposable aux réalités que vivent les peuples du Sahel (Liptako-Gourma) et d’Afrique en général dans leur quête à l’autodétermination.
Sarraounia est lauréat de l’Étalon d’Or de Yennega à la 10ème édition (1987) du Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadoudou.
Youssoufa Halidou Harouna