L’ivoirienne Fatou Sy est une des trois autrices auxquelles s’est particulièrement intéressée Agora Francophone lors de l’édition 2023 des Zébrures du Printemps. Elle a bénéficié d’une résidence d’écriture à la Maison des auteurs et des autrices de Limoges grâce au dispositif « Découvertes ». Arnaud Galy a rencontré cette singulière autrice qu’il nous fait découvrir dans sa trajectoire et son engagement pour son art.
Ses boucles d’oreilles en forme de continent africain et ses longues tresses en disent long sur son africanité affirmée. Sa tenue vestimentaire et ses lunettes, sobres, donnent l’illusion d’une autorité qui sied tout à fait à l’enseignante qu’elle est. Illusion, car dès les premiers mots échangés, les lunettes disparaissent laissant place à de grands yeux pétillants. Un large sourire taquin lance la conversation. De l’autorité, sans doute, de l’autoritarisme, non !
Lucidité aussi ! La jeune femme admet sans peine que vivre de son écriture est une utopie, accessible pourquoi pas, mais pas de si tôt. Ce constat n’est pas réservé aux autrices dramaturges ivoiriennes, mais Fatou Sy qui est dans le milieu depuis une dizaine d’années l’expérimente à ses dépens. Alors, que faire ? Tout mener de front : l’enseignement pour faire bouillir la marmite ; élever ses enfants et prendre soin de sa famille, rôle simplement naturel ; l’écriture dont le besoin est ancré là quelque part entre le cerveau, le cœur et les tripes. Ha, n’oublions pas le quatrième quart de la recette : apprendre, se professionnaliser, réseauter, se nourrir de lectures, de sorties au théâtre, de musiques d’ici et là, de rencontres avec des voix, des oreilles et des pensées d’ailleurs… Ce quart-là est indispensable pour qu’un jour, vivre de son art soit envisageable. Un quart qui porte un nom : résidence, ici les programmes « Découvertes » des Francophonies – des écritures à la scène.
La Maison des auteurs et des autrices à Limoges n’est pas son premier lieu de résidence, la jeune femme s’est déjà soumise à l’exercice en Tunisie ou au Burkina Faso. S’isoler, mettre de côté le quotidien, rencontrer d’autres artistes, elle connaît. Mais Limoges est un tout. Comme le rappelle le titre des actions des Zébrures : « De l’écriture à la scène ». Ici, Fatou Sy, écrit et aussi se projette sur le moyen terme. À la manière du compagnonnage, elle peut s’appuyer sur un « mentor », un professionnel plus aguerri qu’elle. Pas question de la faire dévier de son chemin, de son écriture, mais juste poser un regard serein sur le texte en construction et faire éviter à son autrice une incohérence par-ci, un passage obscur par-là. Le mentor est l’Ivoirien Koffi Kwahulé. Il n’est pas le seul à nourrir Fatou Sy de vitamines créatrices. Elle rencontre des étudiants à l’université, les comédiens amateurs de la troupe du Secours populaire 87, les professionnels du Théâtre de l’Union et « des gens » divers, autres, curieux, interrogateurs, débatteurs… Un impératif : surtout ne pas sortir d’une résidence comme on y est entré. Sortir avec un texte qui tient debout, une mise en scène – prochainement – un éditeur « du Nord » afin de toucher un public qu’un éditeur ivoirien ne lui offrirait pas ou au contraire conserver un éditeur d’Abidjan afin de poursuivre le lien avec ses lecteurs au pays… Qu’importe, l’important est de construire un chemin, selon ses propres envies et cohérent avec certaines attentes du métier. Le « mentor » est aussi là pour cela : guider, faire part de son expérience. Formelles ou informelles les discussions entre les deux parties doivent être enrichissantes.
En 2017, Abidjan a accueilli les « Jeux de la Francophonie ». C’était la première fois que Fatou Sy voyait concrètement la Francophonie institutionnelle en action. La Francophonie dans la rue. Elle en garde un souvenir vivace. Aujourd’hui, l’Organisation Internationale de la Francophonie se rappelle au bon souvenir de la dramaturge en étant partenaire des Zébrures pour « Découvertes » ce programme de résidences pour écritures féminines francophones. Programme qui permet à Fatou Sy de jouer avec les mots autant que sortir de sa zone de confort !
Arnaud Galy, Agora Francophone