Photo d'archives, Concert du 20 mars à Addis Abeba
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Les Industries Culturelles et Créatives(ICC) ! On en parle de plus en plus, et dans bien des cas sans donner à ce secteur sa juste importance. Selon les chiffres publiés par l’UNESCO en 2022, les « ICC » ne représentent encore que 3,1 % de la production mondiale, mais elles génèrent deux fois plus d’emplois que les autres secteurs. Du reste, la réalité montre que le secteur des industries culturelles et créatives représente un formidable outil de création de richesses et d’emplois, en plus de sa contribution à la cohésion sociale et au rayonnement des pays.
Du 24 au 26 mai 2023 se tenait à Dakar le Forum africain pour les industries culturelles et créatives (FORAFRICC) en présence de l’Administratrice de l’OIF Caroline St-Hilaire. Une occasion pour rappeler que le secteur des ICC affiche une croissance rapide et crée beaucoup d’emplois, mais qu’il faut également qu’il soit soutenu par des politiques publiques efficaces. Retrouvons à-propos l’édito de Nivine Khaled, publié initialement par l’OIF : http://ow.ly/WauN50OzgNf
Depuis Jean de La Fontaine, on sait que les cigales ont beau chanter tout l’été, égayant ainsi l’existence des fourmis industrieuses, ces dernières ne montrent aucune reconnaissance lorsqu’on leur demande de passer à la caisse. Les cigales, ce sont les saltimbanques, artistes ou créateurs en tous genres sans qui la vie ne vaudrait pas d’être vécue. Nous ne pouvons pas nous passer de culture, d’art et de littérature mais dès qu’il s’agit de supporter le coût de ces activités créatives, nous avons trop tendance à les déprécier. Pourquoi des choses aussi futiles ou superflues devraient-elles nous coûter de l’argent ? La Fontaine, qui vivait lui-même des libéralités de riches mécènes, a fait beaucoup de mal aux artistes et aux écrivains en accréditant l’idée que leur pauvreté n’était que la sanction méritée de leur supposée frivolité.
Il est temps de rétablir l’honneur des cigales et de rendre à la culture la place qu’elle mérite. Car les économistes eux-mêmes, qui appartiennent pourtant à la catégorie « fourmis », ont déjà fait ce travail de réhabilitation. Ce qu’ils nous disent va à l’encontre de tous les préjugés hérités de La Fontaine. De nos jours, quel est le secteur de l’économie mondiale qui affiche la croissance la plus rapide et crée, proportionnellement le plus d’emplois ? La banque, les mines, le « big data » ? Pas du tout, c’est le secteur des industries culturelles et créatives ! Selon les chiffres publiés par l’Unesco en 2022, les « ICC » ne représentent encore que 3,1 % de la production mondiale mais elles génèrent deux fois plus d’emplois que les autres secteurs. Et c’est sur le continent africain que ce phénomène est le plus accentué : le secteur culturel y fournit 8,2 % des emplois.
Mais, attention ! Si les emplois sont si nombreux dans les domaines du livre, de l’audiovisuel, du cinéma, de la musique, du spectacle vivant, des arts visuels et des arts numériques, c’est qu’ils sont souvent précaires et mal rémunérés. Merci, La Fontaine !
Dans la culture, plus qu’ailleurs, on trouve beaucoup de temps partiel « subi », énormément de contrats courts liés à des projets ponctuels, une proportion élevée de travail indépendant et trop peu de protection sociale. Les artistes, auteurs et techniciens de la culture sont vulnérables et les premières victimes de cette vulnérabilité sont naturellement les jeunes et les femmes. Les femmes sont très présentes dans le secteur culturel (on est proche de la parité au niveau mondial) mais l’équité est encore loin car elles occupent rarement les meilleures places, même si, de plus en plus souvent, elles sont plus diplômées que les hommes.
Autre piège à surveiller : le numérique, qui transforme en profondeur les métiers de la culture et crée de nouvelles opportunités d’emploi pour les jeunes mais pourrait aussi aggraver la sous-représentation des femmes dans certains métiers. Visitez un studio d’animation et vous verrez des dizaines d’hommes cramponnés à leurs ordinateurs. Le vieux stéréotype qui veut que les femmes soient littéraires et les hommes scientifiques a la vie dure et conduit, trop souvent, à faire de la maîtrise des technologies numériques une prérogative masculine.
Le secteur des industries culturelles et créatives représente un formidable outil de création de richesses et d’emplois, en plus de sa contribution à la cohésion sociale et au rayonnement des pays qui ont su miser sur lui. Mais pour que l’économie de la culture puisse s’épanouir de façon équilibrée, il faut des interventions publiques efficaces. Contre la précarité, pour un meilleur équilibre femmes/hommes, pour des politiques de formation adaptées aux enjeux, pour plus de diversité, plus de créativité et, grâce à tout cela, davantage d’efficacité. En plus de procurer beaucoup d’emplois directs, le secteur de la culture a en effet la particularité de générer d’importants avantages indirects : le rayonnement culturel améliore l’attractivité des territoires concernés et se traduit par des investissements et des recettes touristiques accrus. Une étude commanditée par la Commission Internationale du Théâtre Francophone montre que chaque euro (dollar canadien ou franc suisse) investi dans un projet génère 4,5 euros (dollars canadiens ou francs suisses) de recettes pour les organismes appuyés. En France, le Centre national du cinéma a calculé que, pour chaque euro investi par une collectivité locale dans un film ou une série, on pouvait comptabiliser « 6,60 € de retombées directes (rémunération, dépenses techniques et tournage) et 1 € de tourisme (hébergement, restauration, loisirs, transport) : soit un total de 7,60€ ».
Qu’en dites-vous, Monsieur de La Fontaine ?