Beata Umubyeyi Mairesse a de saines marottes : remettre les points sur des i estropiés et avancer les aiguilles des pendules retardées. Ainsi, elle qui est née à Butaré, la deuxième ville (1) du Rwanda en 1979, aime à rappeler que ce petit pays, encerclé des géants congolais, tanzanien et ougandais et du Burundi, n’était pas un désert culturel comme souvent les Européens ont tendance à le décrire, à le fantasmer. Fille d’une institutrice, l’adolescente à la fin des années 80, tout début 90, évoluait dans une ville dotée d’une université, de librairies, de bibliothèques et du Centre Culturel Français. Elle, suit un cursus de littérature francophone occidentale dans une école internationale belge. Les deux souvenirs qui s’extirpent en tête de sa mémoire sont Boris Vian et le Grand Meaulnes.
Vint 1994. L’indicible qu’il faut bien raconter : le tragique incompris ; l’inattendu attendu ; le machettage follement organisé ; la Radio des Milles collines orchestrant tout, en ouvrant une nouvelle ère dans l’histoire de ce média habituellement solidaire et résistant ; la dislocation des corps, des cœurs et des familles. Beata Umubyeyi Mairesse atterrit en France, se pose dans la région lilloise. Au Rwanda, on la disait blanche ; en France, on la voit noire. Fichu métissage qui porte en lui tant d’incompréhensions ici, là et là-bas. Elle replonge dans la lecture, inverse les paramètres : ici, elle lit Baldwin, Morrison et Condé… Après avoir cherché ce qu’être « blanc » dans la littérature occidentale, elle complète son savoir en découvrant ce qu’être « noir » en lisant les littératures afro-caribéennes.
Est-ce le destin des rescapés d’un génocide, Beata Umubyeyi Mairesse veut que sa seconde vie soit utile, concrète ? Elle répond à une petite voix intérieure qui la pousse vers « l’humanitaire ». Pas n’importe lequel, elle a des souvenirs troubles des interventions ou non-interventions de certaines ONG au Rwanda. Le CICR et MSF ont marqué des points, d’autres moins… Même si sa compétence n’est pas mise en cause, aucune ONG ne souhaite l’envoyer au Rwanda, pas assez neutre, disent-elles. Beata Umubyeyi Mairesse ira donc sur le continent africain dans le cadre de la lutte contre le SIDA puis travaillera au Vietnam, en France en « santé communautaire ».
Puis l’écriture, comme une évidence
Une évidence qui éclot grâce à un recueil de nouvelles, Ejo. Une écriture sans fioritures, à l’os.
Le génocide, disons enfin le mot, n’en finit pas de hanter les Hereros et les Namas, les Arméniens, les Ukrainiens, les Tziganes et les Juifs, celui qui concerne Beata Umubyeyi Mairesse a bouclé le 20e siècle de la pire des tragédies. (2)
Écrire le génocide des Tutsis.Témoigner de sa complexité et refuser une vision englobante de l’histoire sont les deux arguments que Beata Umubyeyi Mairesse met en avant pour expliquer l’écriture de nouvelles alors que ce genre littéraire est peu prisé en France. Tant pis, partant du principe qu’un personnage ne peut tout dire, le recueil Ejo voit le jour. Il est selon les mots de Beata Umubyeyi Mairesse, « une prévention aux préjugés ». Elle raconte donc des histoires pour les siens et pour les autres. Double ambition, double nécessité. « Je vous parle de nous, nous qui pourrait être vous… »
Un chemin vers les Cinq continents
Il n’en fallait pas davantage pour que le jury du prix des Cinq continents (3) lui décerne l’édition 2020 pour Tous tes enfants dispersés. Prix remis par des écrivains de très haut de gamme qui assure à la récompensée un coup de pouce comme jamais elle n’avait bénéficié auparavant. Une exposition qui, si ce foutu COVID, était gentiment resté dormir en Chine, lui aurait occasionné une année de rencontres et de palabres de folie. Mais voilà, le virus mutant en a décidé autrement, l’empreinte carbone de Beata Umubyeyi Mairesse, elle, s’en porte mieux. Le grand tour de monde des communautés du parler français sera pour une autre fois. Remplacé par : un brin de visio pour des lectures collectives du livre avec des lecteurs de Cluj en Roumanie ou avec des participants au Festival des Cinq continents à New York ; quelques déplacements quand même, au Congrès des écrivains à Tunis, au festival Étonnants voyageurs à Saint-Malo ou fut organisée une… visio ; à Bruxelles pour une rencontre avec, notamment, Jean Marc Turine, lauréat du prix en 2018 ; au Festival International du livre de Iasi en Roumanie, où Beata Umubyeyi Mairesse se rend compte que l’écho du génocide au Rwanda n’est quasiment pas arrivé là, dans l’extrême Est roumain.
Changement de vie ?
N’exagérons pas, mais chamboulement certainement. Une bourse conséquente accompagne ce prix. L’équivalent du prix de 2 mm d’un crampon de Kyliiiiian mais pour une personne dite normale, le prix des Cinq continents met du beurre dans l’eau fraîche des amoureux ! Résumons, en 18 mois, Beata Umubyeyi Mairesse a trouvé le temps… d’écrire Consolée, son deuxième roman – qui vient de remporter le Prix Kourouma – d’écrire un album jeunesse qui sortira en septembre et un récit – en cours ! Cerise sur un gâteau à la crème, la visibilité offerte par les Cinq continents met Beata Umubyeyi Mairesse dans l’œil des éditeurs, un prochain manuscrit sera sans doute mieux considéré.
Et au Rwanda ?
Alors que Beata Umubyeyi ne se rendait au Rwanda que pour rencontrer son cercle familial, elle est aujourd’hui régulièrement invitée au Salon du Livre de Kigali et trône sur les présentoirs de la principale librairie de Kigali. Un prix de qualité remis par Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie de nationalité rwandaise, à une écrivaine rwandaise, c’est chic pour la photo !
(1) De l’époque.
(2) Génocide des Herero et des Nama entre 1904 et 1908 dans l’actuelle Namibie ; génocide des Arméniens, 1915 ; Holodomor ukrainien, 1932, 1933 : Shoa, entre 1933 et 1945.
(3) Le prix des Cinq continents est organisé par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).
Arnaud Galy, Agora Francophone