Were Were Liking
Ici, c’est une femme le chef comme rarement dans certains villages en Afrique. Situé en plein cœur de la capitale abidjanaise, le village Ki-Yi M’bock signifiant littéralement “Connaissance ultime” en langue Bassa du Cameroun est une école de formation initiatique aux métiers de l’art. Chercheur six ans durant dans le domaine de la Littérature Négro-africaine de 1979 à 1985 à l’Université d’Abidjan, actuelle Université Felix Houphouët Boigny de Cocody, la camerounaise Were-Were Liking qui est la cheffe de ce village se présente surtout comme artiste: « je me suis sentie plus artiste qu’universitaire. J’ai cherché un lieu qui puisse me permettre de m’exprimer suffisamment en tant qu’artiste mais aussi pour aider les jeunes désireux de professionnaliser leurs talents artistiques. En 1983, j’ai trouvé un premier endroit en face de l’Insaac (institut national supérieur des arts et de l’action culturelle). Je voulais surtout rester en contact avec les jeunes. J’ai ouvert la villa Ki-Yi avec des amis. Mais en raison de l’exiguïté de l’endroit on a dû déménager ».
Joyau artistique, cadre plaisant, le village Ki-Yi M’bock, ce sanctuaire de l’art est un véritable laboratoire de fabrique de stars. Plusieurs grands noms de la musique ivoirienne y ont fait leur premier pas Manu Gallo, Nserel Njock, Seri Dapea, Honakami Tapé, Kiffnobeat, Djidji Zapayoro, Bomon Mamadou, Kacou Dadié, Sam Bapes, Massidi Adiatou, Lobognon Godé, Nafasi, All-Black, Dobé Gnahoré.
Le jour où nous découvrons ce bois sacré dans la commune de Cocody, nous-nous y aventurons tous curieux de rencontrer Were Were Liking, Cheffe des lieux ou la Reine mère comme elle aime se faire appeler. Vêtue d’une longue robe en soie jaune poussin, la grande dame, vrai personnage atypique, nous accueille avec son sourire légendaire.
Cheveux coiffés en dreadlocks, elle tient une canne sculptée en tête de python royal. Regard mystérieux, allure majestueuse, la reine-mère est une vraie bibliothèque ambulante. Elle dévore à pleine dents plusieurs disciplines de l’art. A la fois artiste peintre, sculpteur, chorégraphe, écrivaine, styliste, instrumentiste et chanteuse, Were Were Liking est une source d’inspiration. Soucieuse de transmettre son savoir, elle accueille dans son école tous les ans, passionnés d’arts, curieux et armateurs soucieux de se perfectionner.
Pour ceux qui ne vous connaissent pas, qui est la reine mère Were Were Liking ?
Je suis avant tout une femme, une simple bonne femme, de simple bon sens comme le dirait ma grand-mère, une mère et puis une créatrice pluridisciplinaire. J’ai eu cette chance d’avoir rencontré des personnes exceptionnelles dans ma vie qui m’ont orientée dans diverses directions et où j’ai dû apprendre beaucoup de choses en même temps. C’est ce qui m’a servi à être sensible pour transmettre l’héritage de nos ancêtres.
D’où vous est venue l’idée d’appeler votre univers Ki-Yi M’bock ?
C’est une expression initiatique dans le “M’bock” qui est l’initiation globale en pays Bassa au Cameroun où je suis née. Et il y’a plusieurs sections à l’intérieur de l’initiation dont le ” kiyi” qui veut dire l’ultime savoir. Et comme l’ultime savoir c’est sur soi-même, sur sa propre vie par rapport à la vie en général donc apprendre que nous pouvons ré-créer le monde et créer aussi bien des paradis que des enfers et que nous avons le choix et donc nous sommes responsables, il m’a semblé que c’était ce dont le continent avait le plus besoin à ce moment précis, alors c’est ce que j’ai fait et j’appelle cela le Ki-Yi M’bock, c’est-à-dire l’ultime savoir de l’univers.
Comment tout cela a commencé et depuis quand exactement ?
Nous avons commencé avec villa Kiyi quand j’étais encore avec des amis comme Marie-Josée, Liliane, Christine, Laurie. Nous avions envie de créer un espace ou on échangerait parce qu’on partageait quand même les mêmes préoccupations sur le continent. L’espace est devenu VILLAGE KIYI parce que, j’ai voulu aménager un espace plus professionnel, plus communautaire. En clair, un espace de vie et de travail. Comme tous les villages on y vit, on s’y marie, on y fait ses enfants, on y fait ses champs, on peut partir quand ou veut et on revient quand on veut.
Quand est ce qu’il y a eu le passage de “VILLA KIYI” à “VILLAGE KIYI” ?
La villa Kiyi commence en 1983 à Abidjan. En 1985, nous nous sommes séparés. C’est comme cela qu’en décembre 1985 c’est devenu “VILLAGE KIYI». C’est véritablement vers les années 1988 que le terme village va s’imposer.
Comment arrivez-vous à concilier tous les arts au sein du village Kiyi et sur combien de disciplines travaillez-vous ?
Personnellement, je suis écrivaine. Je suis plus connue dans le monde en tant qu’écrivaine parce que mes œuvres sont enseignées dans près d’une centaine d’universités aussi bien aux Etats-Unis qu’en Australie et en Europe dans plusieurs pays, en Afrique également. Je suis également metteuse en scène parce que j’ai fait de nombreux spectacles, que j’ai promenés à travers le monde.
Vous avez réalisé combien de spectacles dans votre carrière ?
Je dirai que je n’ai pas fait des milliers de spectacles mais de grands spectacles, une trentaine environ. Mais j’ai fait de petits spectacles d’animation, j’ai créé pour des gens des centaines de spectacles de 10, 15, 20 minutes. J’ai fait de grands spectacles et surtout de grands opéras comme Un Touareg s’est marié à une Pygmée, Sogolon, L’Epopée Panafricaine etc.
Quelle est l’origine de ce nom d’artiste Were Were Liking, qui suscite beaucoup de curiosité ?
Were Were ! C’est le nom que ma belle-mère m’a donnée lors de mon premier mariage et mon premier époux s’appelait Liking… quand on se marie et qu’on a la chance d’être appréciée par sa belle-famille, elle peut vous donner un petit surnom. Comme j’avais commencé à publier sur ce nom, j’ai gardé le même nom quand on s’est séparé. Puis je me suis remariée ici en Cote d’Ivoire à Gnepo donc aujourd’hui je suis Were Were Liking Gnepo.
A quel moment avez-vous commencé à vous intéresser à l’art jusqu’à en faire votre métier ?
Ce que je dis tout le temps, c’est une question d’opportunités, de rencontres. J’ai rencontré tout le temps des gens exceptionnels, des musiciens qui m’ont entrainée dans le monde de la musique. Je commençais alors à chanter dans les années 1976. En 1968, je rencontre une personne qui m’a dit qu’elle voyait en moi un grand peintre et m’a offert des outils pour la peinture et là, je commence à peindre.
Aviez-vous auparavant appris la peinture ?
Non j’ai commencé directement comme ça parce que j’avais des choses sous la main, puis j’ai appris au fur et à mesure de la pratique et je me suis cultivée. Vous savez, les savoirs sont là, quand on a envie. Le problème c’est d’avoir envie de savoir, sinon les savoirs ne sont jamais bien loin. Quand on aime le savoir, on le cherche et moi j’ai toujours été passionnée de savoir donc chaque fois que je rencontrais quelqu’un que ce soit dans le domaine du théâtre ou autres, j’aimais apprendre.
Toutes les œuvres d’art au sein du village Kiyi ont-elles été réalisées uniquement par vous ou par d’autres artisans ?
Toutes les peintures que vous voyez, c’est moi parce que, c’est quand même depuis 1968, 52 ans au moins que je peins. Pour les poèmes, les chansons, et des pièces de théâtres,en 1972, j’ai écrit ma première pièce de théâtre. Elle a été mise en scène un peu plus tard et j’ai commencé à faire des recherches sur ce domaine parce que ça m’intéressait.
Le village
Aujourd’hui constitué en fondation panafricaine pour la formation de la jeunesse à la création en 2001, le village est devenu un site touristique, un sentier unique inscrit dans les endroits bons plans à visiter dans la capitale ivoirienne.En son sein, des galeries d’expositions, des ateliers audio, des ateliers d’arts plastiques, un musée théâtral où sont programmés spectacles et stages. Le village compte également un répertoire de contes-spectacles et de soli-spectacles et un répertoire de café-théâtre. Des prestations sont données à domicile, dans des cours, des concessions ou chez des particuliers. Son musée compte près de 3000 objets de collection servant d’écoles de regard et de repère aux jeunes en formation qui évoluent dans un univers artistique polyvalent. Le théâtre est une grande scène professionnelle de 12m2 d’ouverture, de 9 m de profondeur et de 7m50 de hauteur sous les cintres avec une capacité de 230 places assises sur deux niveaux. Le village est le cadre de vie et de travail du groupe Ki-Yi et abrite toutes les infrastructures de création et de diffusion artistique, des ateliers d’arts plastiques, des galeries d’expositions, des laboratoires photo et audio. Une dizaine de chambres pour l’accueil des jeunes en difficultés durant leurs formations au village. Des scènes extérieures de répétition et de programmation et un ensemble d’équipements sons et lumières, d’instruments musicaux et informatiques ont été installés et ne demandent qu’à être renforcés.
Nel Soro, afrikfashion.ci
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